Messages de l’Étrange et des Mondes Obliques. Numéro zéro.

Messages de l’Étrange et des Mondes Obliques

Numéro zéro

 

Voici un premier Mémo (Message de l’Étrange et des Mondes Obliques) signé Cécile Toussaint. Ce texte est la première pierre à un ensemble épistolaire, qui constituera une œuvre collective de théorie-fiction explorant les ruines à venir de nos mondes, dont vous recevrez tous les premiers de chaque mois une trace. Nous mettrons en place, au cours de l'année, une archive 3D afin d'explorer les réminiscences de cette correspondance impossible.

Pour partager cette expérience, le lien vers la page du projet est la suivante : https://abrupt.cc/memo

Bonne traversée des ruines.

 

 

cher.

 

ils ont tout éteint. je ne sais pas vraiment comment ils s’y sont pris. mais ils ont ajouté la ténèbre aux ténèbres. c’est l’outrenoir qui suinte par tout ce qui s’ouvre encore en nous. une sorte de pétrole qui revient à son souterrain et nous emporte dans son enfouissement. sans doute est-ce cela l’idéologie. l’idée qui pourrit dans son souterrain. substance visqueuse qui stagne et qui revient. mutante. mutée. le monde a muté et j’ai pourri avec. sans toi. leur idée s’est enfoncée dans nos bronches pour y construire un terrier. un terrier ou une prison. qu’importe. on croupit toujours en soi. tout ce qui demeure souffle en nous n’est plus qu’expiration. j’aimerais te dire que j’ai trouvé un moyen de m’enfuir. mais ma fuite aussi faible soit-elle ne subsiste que dans une langue que je plonge dans des espaces plus profonds que ce terrier. ce terrier ou cette prison dans laquelle ils m’obligent à subsister. travailler. et ne pas penser à sa souffrance. en deçà des poumons la langue est à l’estomac. au cœur de cet asservissement où je suis devenue mon propre cerbère. je me récite quelques mots pour braver le rythme des machines. te souviens-tu de ces mots. tu me les avais appris pour te moquer de moi. et j’aimerais te les redire ces quelques mots. pour te prouver que j’écoutais. et pour me moquer de moi à mon tour. ils ont augmenté les cadences depuis un mois. depuis que nous devons finir leur satellite. tout ceci pour reproduire soi-disant l’énergie du soleil. tout ceci pour coloniser. et coloniser plus loin. pour salir. salir l’espace de la salissure humaine. cela ne suffit pas qu’ils vomissent la guerre. qu’ils crachent sur nos visages sans arme le goût du sang. le sang des autres. ils n’ont jamais rien su du goût des ruines. du goût des morts sous les ruines. alors j’aimerais me moquer de moi. mais depuis un mois je n’arrive plus à vivre au-delà de ma souffrance. me moquer juste un peu pour conjurer. car j’y ai cru à leur rêve. à leur énergie. et moi. mon énergie. ce qu’il en reste se détourne du soleil. mon énergie va à pluton. en deçà des poumons. malgré eux. je tente de fuir le principe d’efficience. j’échoue. c’est qu’il est attaché au corps et le corps est attaché à ce qui persiste de moi. alors je rumine. et j’ai ruminé tout le jour. comme un mantra. cette pensée que tu m’avais apprise. pour te moquer : chaque possible a droit de prétendre à l’existence à mesure de la perfection qu’il enveloppe. mais lorsque cette enveloppe disparaît sous les chaînes avec lesquelles on a ferré nos espérances ? que faire ? où fuir ? comment ? chaque monade n’est pas une île. mais conserve la perfection sphérique du plomb qui s’enfonce dans la chair. le plomb fuit en nous. et nous fuyons avec lui. nous y avons cru du moins. mais nous avons fui en rêvant d’une cité idéale. et une cité idéale demeure invariablement sans humains. et même là. au cœur du marbre et du vide. on ne peut pas fuir deux fois. on ne peut pas soulever deux fois la poussière. il nous reste donc l’idée du rêve davantage que le rêve. comme élément autonome. détaché et du plomb et des chaînes de plomb. pour fabriquer un flottement où nous pourrions ensemble disparaître. je t’offre ma pensée un peu triste. au bout de l’idée du rêve. comme on offre du chardon à un inconnu. pensée qui je l’espère te parviendra malgré la censure. une rumination que je porte en silence et qui comme l’exige mon rôle nouveau de bovin au service des grands mathusalems de notre temps se refait devant toi. n’est-ce pas apaisant de nous voir creuser ainsi une métaphysique comme si nous étions en train de creuser notre fosse commune ? dans la fosse commune il y a encore la commune.

 

à la lueur ténue de nos mondes rêvés. telle la lumière des astres qui s’effondrent sur eux-mêmes. à toi.

 

c. t.

D'abrüptes actualités

 

Abrüpt publiera en cette première moitié d'année :

  • Un essai collectif de contre-féerie sur Walter Benjamin, somme d’interventions textuelles et graphiques, à partir de la version française de l’exposé « Paris, capitale du XIXe siècle » (1939), et explorant les destins critiques de Walter Benjamin à l'heure des triomphes de la marchandise ;
  • Un ouvrage de Clément Willer explorant le « communisme sauvage » de Marguerite Duras et tentant d'extraire de son œuvre, tant littéraire que cinématographique, une critique hétérodoxe de notre temps ;
  • Un ouvrage de Joachim Séné, fait d'apparitions et de disparitions, marquant chacune des 1440 minutes d'une journée, et qui sera accompagné d'un bot générant une infinité de ces résurgences textuelles ;
  • Cénaclières, anthologie critique des archives de poétesses du XIXe au XXXe siècle, produite par le collectif d'archivistes du XXXIe siècle Nor Do et traduite par Marie-Anaïs Guegan et Romain Lossec.

Sur Error, notre revue des courts-circuits, en cette première moitié d'année, paraîtront plusieurs textes théoriques et littéraires, ainsi que des expérimentations graphiques 3D tentant de faire sortir le texte de lui-même ; vous pouvez dès à présent découvrir le dernier texte de Bernard Bourrit publié en ce début d'année : https://error.re.

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