| Le 4 novembre 2025 Chers Tous, Nous payons un demi-siècle plus tard les conséquences du principe de précaution. Comme la cigale de la fable nous nous trouvons dépourvus quand les fourmis de la planète nous font payer un prix croissant pour nos déficits. A l’évidence, notre merveilleux système de solidarité craquelle du fait de la faiblesse de notre production industrielle et agricole. A titre d’exemple, nous nous refusons toujours à voir l’évidence et, dans le cas choisi ici, les considérables bienfaits des nouvelles technologies génétiques pour l’ agriculture. Avec mon chaleureux souvenir. Jean de Kervasdoué https://www.lepoint.fr/societe/agriculture-francaise-le-cout-de-la-technophobie-31-10-2025-2602140_23.php Le prix de l’obscurantisme Comment juguler la productivité de l’agriculture française Octobre et novembre sont dans les campagnes les mois du bilan. Les céréales ont été moissonnés depuis longtemps, les foins coupés, la vigne vendangée, reste le maïs presque totalement rentré en ce début novembre, même s’il ne le sera totalement que dans quinze jours. Il se vend d’ailleurs déjà à un prix situé entre 160 et 165 € la tonne[1], pourtant les prix ne montent pas alors que la production française est en baisse. La surface plantée s’est réduite de 5% depuis 2024 et, surtout, les rendements de cette plante extraordinaire stagnent en France depuis un quart de siècle. Ils ont encore baissé de 4,2% en 2025 donc, pour la troisième année consécutive, les maïsiculteurs produisent à perte. Pourtant, il n’y a là aucune fatalité car la productivité de la culture du maïs continue de progresser dans les Amériques du nord comme du sud. Si en France, en 2025, le rendement est de 88,5 quintaux à l’hectare, il avoisine 115 quintaux aux Etats-Unis. Le coût de ce plus faible rendement est facile à calculer : 424 € par hectare, soit le montant qui permettrait aux agriculteurs de ne plus produire à perte. Les raisons sont connues et nombreuses, européennes d’abord car l’Union achète 25% de sa consommation à des pays tiers, de moins en moins à l’Ukraine pour d’évidentes raisons et de plus en plus à l’Amérique du sud, notamment au Brésil, accord Mercosur oblige. A propos de l’Europe, signalons de surcroît que la situation économique des maïsiculteurs va encore s’aggraver au 1er janvier 2026 du fait de la taxe MACF (Mécanisme d’Ajustement, Carbone aux Frontières) : elle va accroitre le cout des engrais qui sont pour la plus grande part importés. Les raisons sont aussi françaises du fait de la surtransposition des normes européennes mais aussi de la difficulté bureaucratique croissante de l’accès à l’eau dans un pays qui pourtant en regorge, n’en déplaise aux médias qui à longueur de journée confondent météorologie et climat. Rappelons que nos fleuves rejettent chaque année en mer 171 milliards de mètres cubes d’eau, autrement dit : la France perd cette eau douce alors que toute l’agriculture française n’en aura utilisé qu’environ 3,5 milliards de mètres cubes ! Mais la cause centrale est ailleurs : la France, qui fut le leader européen des semences, se refuse d’utiliser les nouvelles techniques génomiques[2]. Elles sont qualifiées par les écologistes politiques, plus manipulateurs qu’ignorants, de « nouveaux OGM », alors que ces techniques n’ont rien à voir avec la transgénèse car les plantes sélectionnées ainsi ne contiennent pas de matériel génétique étranger à l’espèce dont on recherche à améliorer les qualités. Nous allons y revenir. Si maintenant on regarde le blé et non plus seulement le maïs, le paysage parait moins sombre. La campagne fut bonne : les rendements ont cru de 20% (73,7 quintaux à l’hectare) et la production a augmenté de presque 30% malgré une baisse des emblavements d’environ 100 000 hectares. La météo a été très favorable notamment dans la France de l’est et en Midi-Pyrénées. Si la moisson a parfois commencé en juin, c’est-à-dire très tôt, on ne constate pas pour cette culture d’effet néfaste du réchauffement climatique, ce qui n’est pas le cas des forêts, nous le verrons. Toutefois, là aussi, le prix du blé peine à couvrir les frais de production : rendu à Rouen (le port d’exportation), il se vend autour de 190 € la tonne alors que le coût de production est de 200 €. Les stocks mondiaux sont abondants. Rappelons que la fin de l’aide alimentaire américaine décidée par Donald Trump quand il a enterré USAID pose des problèmes de débouchés aux fermiers américains. En outre, La France a perdu le marché de l’Algérie, un de ses débouchés historiques. De surcroit, pour les céréales aussi, la surtransposition de normes en matière d’engrais et de produits phytosanitaires, comme certaines des mesures agroenvironnementales (MAEC) pèsent sur les rendements. La production agricole, comme la production industrielle baisse en France. Les agriculteurs soufrent et travaillent à perte. Rien, à court terme, ne permet d’espérer une amélioration. Les marchés mondiaux des matières premières agricoles présentent une offre supérieure à la demande solvable. Plus que jamais, dans ce domaine aussi, les Etats-Unis défendent leurs marchés. C’était déjà le cas il y a un demi-siècle, Trump ne fait qu’ajouter un peu de son énergie brutale à ce qui a toujours été un rapport de force américano-européen. Si donc on ne peut que constater l’évolution du marché des matières premières agricoles et, notamment la montée des pays d’Amérique latine, la France doit s’adapter à cette concurrence, comme au réchauffement climatique. Soulignons donc, une fois encore, l’incompréhensible, l’inexplicable bêtise des politiques françaises en matière de génétique végétale. Si l’on est véritablement écologiste, on doit tout faire pour les productions agricoles françaises s’adaptent à la fois à la concurrence et au réchauffement climatique, ce qui implique notamment de tenter de limiter le rejet de gaz à effets de serre et donc l’usage d’engrais et de produits phytosanitaires (les « pesticides » des écologistes politiques), fussent-ils, l’un et l’autre indispensables. Seules les NGT permettent d’atteindre simultanément ces objectifs. Rappelons que produire une variété nouvelle de blé ou de maïs résistante, par exemple au stress hydrique, ne prendra que quelques années avec les NGT mais plusieurs décennies, oui plusieurs « décennies », avec les techniques conventionnelles. A-t-on le temps ? A-t-on le droit d’instiller la peur en faisant croire que ces techniques sont dangereuses alors que l’expérience montre que, même pour les OGM plantés dans le monde aujourd’hui (200 millions d’hectares), ce n’est pas le cas. Les milliards d’êtres humains qui les consomment savent que ces plantes sont à la fois plus saines et moins onéreuses. La génétique fait des merveilles. Elle permet de produire des bananes qui ne brunissent pas, des cacahuètes qui ont une plus grande teneur en huile, des laitues riches en vitamine, des tomates plus savoureuses ou des plantes qui survivent dans des sols salés. L’apport des techniques NGT devient crucial pour l’avenir du riz en Camargue, car l’eau des rizières est de plus en plus salée. Toujours pour le riz, une équipe internationale chinoise, américaine et française vient d’éditer un riz résistant à des multiples maladies sans perte de rendement. De même, des chercheurs de l’Université d’Etat de Caroline du nord ont sélectionné une variété de peuplier qui réduit l’émission de CO2 de ce bois utilisé notamment dans la fabrique de la pâte à papier. Si la France freine encore, le Maroc investit dans l’édition des gènes, notamment des cultures maraichères[3]. L’urgence des urgences concerne cependant les plantes pluriannuelles, les essences forestières donc, car les arbres mettent des décennies, voire plus d’un siècle (chêne) avant de venir à maturité, or le changement climatique rend les forêts plus vulnérables car, en cas de stress hydrique, les feuilles comme le bois, se fragilisent et sont alors plus facilement attaqués par des ravageurs de tous types. En France, l’horizon est toujours bouché. Notre pays, au néfaste principe de précaution, se coule plus que jamais dans une politique européenne conservatrice qui considère – à tort - depuis 2018 que les plantes NGT sont des OGM. Certes l’Union européenne n’exclut pas systématiquement la plantation de variétés OGM. L’Espagne produit une variété de maïs OGM pour le grand bien de ses agriculteurs, mais la réglementation est très contraignante et les partis dits « de Gouvernement » en France n’ont jamais eu le courage de franchir ce pas. Seul LR (le Parti Républicain), lors de sa « Convention Environnement » de 2021, plaidait pour dissocier les NGT des OGM afin de mieux répondre aux défis agricoles et climatiques. Il n’a pas réussi à influencer en quoi que ce soit la politique française. Ce n’est pas Madame Monique Barbut, actuelle ministre de la transition écologique, un temps présidente de WWF, qui changera les choses. Rappelons que cette association écologique a eu des relations financières très proches quoiqu’indirectes avec Gazprom même si, depuis, elle est officiellement contre la dépendance européenne du gaz russe. Tout avocat des énergies renouvelables sait que pour équilibrer un réseau électrique à forte production de renouvelables il y aura besoin de charbon ou de gaz pour équilibrer le réseau électrique en cas d’absence de vent et de soleil. Ceci n’empêche pas que quand on brule du méthane que la chimie élémentaire écrit toujours : CH4 + O2 donne après combustion CO2 + H2O. Le gaz, qu’il soit russe, hollandais ou américain, n’est pas une énergie « propre », si l’on entend par là que sa combustion ne rejette pas de gaz à effet de serre. Lisant Patrick Artus et Marie-Paule Viard qui viennent de publier aux Editions La découverte « Comment nous avons ruiné nos enfants », j’ai pensé à mon tour utile d’illustrer un cas parmi d’autres de contraintes françaises qui nuisent à la productivité de notre économie et à notre richesse. Les responsables, comme les coupables, se reconnaitront. Jean de Kervasdoué Le 29 octobre 2025 [1] Filières maïs – une troisième année de pertes sans perspectives de redressement - WikiAgri - Actualité agricole [2] On parle de NGT : New Genomic Techniques. [3] Biotechnologies végétales info N°36 et 37 – 2ème trimestre et troisième trimestre 2025. Paris, le 27 octobre 2025 Chers Tous, A l’occasion des 80 ans de l’assurance maladie, il fallait souligner en quelques mots les extraordinaires bienfaits de la « Sécu ». C’est aussi l’occasion de rappeler que, si les mécanismes de solidarité doivent être maintenus, ils ont des limites. Le « Quoi qu’il en coûte » n’a qu’un temps. Certes, une meilleure organisation, une plus grande rigueur, doivent permettre d’économiser des dizaines de milliards d’euros, mais il faut concevoir de courageuses réformes structurelles, les mettre en œuvre avant d’atteindre, trois plus tard au mieux, des résultats économiques. Rien n’est annoncé. Or, pour l’instant la pression financière se porte sur les acteurs du système et, notamment, les hôpitaux et l’industrie, sans réussir à équilibrer les comptes. Malheureusement, comme vous le verrez, cela va continuer en 2026. In n’y a pas que les retraites à financer. Bonne semaine. Avec mon chaleureux souvenir. Jean de Kervasdoué https://www.lepoint.fr/societe/assurance-maladie-comment-sauver-80-ans-de-solidarite-25-10-2025-2601743_23.php Renaissance de l’assurance maladie Alors qu’en ce mois d’octobre 2025, on célèbre les quatre-vingt ans de la sécurité sociale, il faut s’arrêter un instant pour célébrer son extraordinaire réussite. Les objectifs que s’étaient fixés le CNR (conseil national de la résistance) en créant la sécurité sociale en 1945 ont été atteints, voire dépassés. Qui, à l’époque, imaginait que - quatre-vingt années plus tard - l’espérance de vie à la naissance des Français aurait augmenter de 20 ans passant de 63 à 83 ans en moins d’un siècle ? En généralisant l’assurance maladie, le CNR permettait que les soins prodigués à chaque Français dépendent de ses besoins médicaux et non plus de ses seuls moyens financiers ce qui, à l’époque, était loin d’être le cas. Soulignons en outre que, grâce à l’assurance maladie, les Français bénéficient des innovations médicales mondiales qu’elles soient diagnostiques ou thérapeutiques, ce qui est quasiment unique au monde. Aujourd’hui, la France est avec le Luxembourg le pays où le reste à charge des patients, c’est à dite la somme payée directement par un Français pour se soigner, ne représente que 7% du montant total de ses dépenses médicales. Certes des inégalités qui demeurent, voire s’aggravent, elles sont plus géographiques qu’économiques. Mais ce bel édifice se craquelle. Dans certaines zones du territoire, il devient très difficile d’avoir accès à des spécialistes. La qualité, comme la pertinence des soins sont hétérogènes. Tandis que les soignants – souvent mal rémunérés - croulent sous des normes et des règles bureaucratiques, l’hôpital se fossilise. L’industrie biomédicale française s’étiole et le déficit de l’assurance maladie se creuse et devient structurel. En dévoilant les objectifs de dépenses de l’assurance maladie pour 2026, le Gouvernement le reconnait implicitement. Si les bouts de ficelles budgétaires des années précédentes resservent, ils sont loin d’être à la mesure du problème. A la décharge du Premier ministre, on ne peut qu’observer que le Gouvernement est de facto empêché d’agir, notamment par les deux extrêmes de l’échiquier politique qui soit proposent de nouvelles dépenses, soit prétendent que de supprimer l’aide médicale gratuite aux immigrés règlerait le problème. Pour 2026, il est notamment envisagé d’augmenter les franchises médicales pour les consultations, les médicaments et le niveau de contribution financière de chaque Français, ce que l’on appelle « le plafond de reste à charge ». Il est également prévu de maitriser les dépenses de médicaments et de baiser certains tarifs d’imagerie, de biologie, de transports sanitaires comme de certains actes paramédicaux. Pour ce qui est du contrôle des arrêts maladie, d’une plus grande rigueur en matière du remboursement des affections de longue durée ou de la lutte contre la fraude, on ne peut qu’applaudir, mais le résultat financier attendu est incertain. Le Gouvernement annonce donc un montant total « d’économies » de 7,1 milliards en incluant malheureusement une basse des tarifs des hôpitaux et des cliniques de 1,5 milliards d’euros or ces établissements sont déjà bien mal en point. En effet, le déficit des hôpitaux publics en 2025, pour l’instant non comptabilisés dans les comptes de l’assurance maladie, va atteindre 3 milliards d’euros. Pour 2026, le Gouvernement annonce un déficit de l’assurance maladie de 12,5 milliards d’euros. Il est difficile d’y croire, car la plus grande pirouette du projet consiste à estimer que les dépenses de santé ne vont croitre que de 1,6% l’année prochaine, or la croissance naturelle des dépenses de soins est plus proche de 4 %. Les raisons sont connues. Le nombre de personnes âgées de plus de soixante ans, ceux qui consomment des soins, croit d’environ 2,4 % par an. Les nouvelles techniques médicales sont onéreuses et surtout, comme leur champ d’application s’accroit, elles induisent de nouvelles dépenses pour soigner des patients jusque-là incurables. Il en est ainsi par exemple de l’immunothérapie. En outre, la France ne peut pas continuer à peser sur les prix des industries biomédicales en général et de l’industrie pharmaceutique en particulier, faute d’aggraver encore les ruptures d’approvisionnement. La faible rémunération des hospitalo-universitaires pèse sur le recrutement des nouvelles générations, le tarif des actes chirurgicaux en secteur 1 est ridicule… Oui, les dépenses de santé vont augmenter et le déficit de l’assurance maladie va se creuser encore ; donc, lapalissade, un retour à l’équilibre implique d’augmenter encore substantiellement les recettes et/ou de réduire les dépenses tout aussi fortement. Commençons par le plus souhaitable : la réduction des dépenses, mais aussi le plus difficile car derrière toute dépense il y a toujours une recette pour quelqu’un. Sans entrer dans les détails, la première piste consiste à redéfinir le droit des bénéficiaires à l’assurance maladie, autrement dit : à la carte Vitale. Il est urgent de préciser qui en France, en matière d’accès aux soins, a droit à quoi. Ainsi les actuels droits universels doivent être accordés seulement à ceux qui les ont acquis par leur cotisation. Ainsi, notamment, les citoyens français non-résidents devraient cotiser à une assurance volontaire pour bénéficier de droits en France. La seconde piste qui mériterait aussi d’être plus détaillée, consiste en quelques mots à médicaliser la politique de santé en suivant dans chaque zone géographique comment sont pris en charge les diabétiques, les cancéreux, les asthmatiques, les accidentés, les cardiaques … et ensuite à mieux les accompagner dans leur parcours de soins. Cela est techniquement possible. Tous les Français doivent bénéficier des soins que leur état exige : ni trop ni trop peu. De surcroit, ces soins doivent être de qualité, or ce n’est pas toujours le cas. Pour ce qui est des recettes, si l’on se refuse d’accroitre les cotisations sociales, la TVA, la CSG et autres taxes sur le tabac, l’alcool ou les aliments transformés et si l’on veut cependant maintenir la solidarité entre tous les Français, il ne reste qu’une technique : la franchise proportionnelle aux revenus[1]. Cette idée ancienne n’a pas de couleur politique, même si son plus récent avocat en France, François Ecalle,[2] penche pour la Gauche de l’échiquier politique. Le côté Gauche ou Droit d’une telle éventuelle réforme ne dépendra en fait que des modalités de mise en œuvre. Jugez-en. L’idée consiste à ce que tous les ménages payent tous les soins médicaux jusqu’à atteindre le niveau de leur franchise. Si, à titre d’illustration elle est fixée à 2,5% du revenu, pour un ménage moyen français qui gagne 40 000 € de revenu brut annuel, les soins seraient totalement payés jusqu’à atteindre la somme de 1 000 euros. Or, le coût moyen d’une complémentaire santé est en France de 645 € par personne, donc plus onéreuse car il y a en moyenne 2,15 personnes par ménage en France. Si l’on souhaite protéger les plus pauvres, on peut alors déclarer que leur franchise est nulle (les actuels CMU par exemple) ; par ailleurs on peut aussi exclure les enfants jusqu’à l’âge de quinze ans, ou encore sortir les frais de maternité … Cette simple idée, très rentable financièrement, a aussi pour qualité de rendre sensible aux Français le coût des soins médicaux. Ils découvriraient ainsi qu’une journée de réanimation dépasse très largement les 1 000 €. Certes cette franchise pourrait être assurable, mais les bienfaits économiques pour l’assuré ne sont pas évidents, ce qui réduit fortement le rôle des complémentaires santé. Certes comme toute idée de ce type, elle a des inconvénients. On peut imaginer en effet que beaucoup retarderont leurs soins pour ne pas payer la visite chez le médecin ou acheter un médicament ; ou encore : ayant dépassé le seuil familial, un membre de la famille se précipitera chez le dentiste pour refaire un bridge ou chez l’opticien pour changer de lunettes. Tout système a des effets pervers. En conclusion, pour prolonger les merveilleux bienfaits de l’assurance maladie il faut arrêter l’hémorragie, définir avec rigueur les bénéficiaires de notre solidarité, médicaliser la politique de santé, moderniser l’organisation des soins médicaux, mais soyons aussi convaincus qu’à terme de dix ans le coût des soins ne va pas baisser notamment du fait du vieillissement de la population et des prouesses de la médecine mondiale. Donc, si les Français peuvent envisager de payer plus pour leur santé, il faut avant cela leur démontrer que la solidarité est équitable et les soins appropriés. Jean de Kervasdoué Le 21 octobre 2025 [1] On parle aussi de « bouclier sanitaire ». [2]Pourquoi faut-il mettre en place un bouclier sanitaire ? Campagne américaine 1 La santé dans la campagne électorale américaine Dans onze semaines les citoyens des Etats-Unis voteront pour une élection dont les résultats ont une importance planétaire mais sont d’abord, à l’évidence, cruciaux pour les Américains. En cette période de campagne électorale, il est intéressant d’examiner les thèmes choisis par les deux candidats et, plus encore peut-être, ceux qui sont ignorés ou à peine évoqués. Il en est ainsi de la santé splendidement ignorée par Trump et son équipe durant son mandat au cours duquel il n’a eu de cesse de détricoter ce qu’avait permis son prédécesseur grâce à sa loi connue sous le nom d’ « Obamacare ». Quant à Kamela Harris, à ce stade, elle aborde ce vaste domaine en se limitant - ce qui n’est pas rien - au droit à l’avortement, au contrôle du prix des médicaments et à une meilleure couverture assurantielle d’une partie de la population, mais ceci reste bien limité. Si en 2019, comme Bernie Sanders, elle plaidait pour la création d’une assurance maladie universelle, elle n’a pas repris ce thème. Biden s’y est alors opposé en prétendant que cela augmenterait les impôts, ce qui est évident ; il oubliait toutefois de dire que cela baisserait simultanément les primes d’assurance qui sont considérables. Elle n’évoque donc aujourd’hui qu’une éventuelle extension de la couverture des assurances-santé soit, pour l’essentiel, de refaire ce que Trump a défait. Cette ambition limitée peut surprendre car les sondages d’opinion indiquent que la santé préoccupe les Américains (64%) quasiment autant que l’inflation (65%) et bien plus que l’immigration (47%) - sujet majeur de Trump -, le changement climatique (39%) ou le racisme (35%)1 . On constate donc qu’il est difficile, aux Etats-Unis comme en France, de proposer au cours d’une campagne électorale une politique de santé, même quand le besoin se fait douloureusement sentir. La santé des Américains n’est pas bonne et le système de soins est aussi inégalitaire qu’onéreux, même si beaucoup d’innovations médicales majeures naissent chaque année aux Etats-Unis. Nous découvrons une fois encore que santé et médecine ne sont pas des synonymes et qu’il ne suffit pas de produire des médicaments innovants pour que la population vive plus longtemps. La santé des américains n’est pas bonne. En 2023, leur espérance de vie à la naissance était de 76,9 années pour les hommes et de 81,6 années pour les femmes ; en France ces chiffres sont de 80,0 ans pour les hommes et de 85,7 ans pour les femmes, entre 3 et 4 années de différence 1 https://www.pewresearch.org/politics/2023/06/21/inflation-health-costs-partisan-cooperation-among-thenations-top-problems/ 2 donc. Rappelons qu’en 1939 l’espérance de vie américaine était de 7 années supérieure à la nôtre ! Pourtant, selon l’OCDE2 , les Français fument plus : les fumeurs représentent 25,3% de la population de 15 ans et plus en France, 8,8% aux Etats-Unis ; les Français boivent plus : 10,5 litres d’alcool pur pour les plus de 15 ans et plus en France, 9,5 litres aux Etats-Unis, mais l’obésité (Indice de masse corporelle supérieure à 30) touche 14,4% de la population en France contre 33,5% de la population aux Etats-Unis. La mortalité maternelle est de 7,9 décès pour 100 000 naissances en France et de 21,1 aux Etats-Unis ; de même, la mortalité infantile est supérieure aux Etats-Unis : 5,4 décès pour 1000 naissances contre 3,6 en France qui pourtant n’est pas particulièrement exemplaire (1,6 en Finlande). Pour 100 000 habitants, la mortalité évitable par prévention est de 109 en France, 236 aux Etats-Unis, les Américains courent donc plus de risques. La mortalité évitable par traitement est de 51 en France et de 96 aux Etats-Unis, les soins sont donc de meilleure qualité en France. La mortalité due au Covid entre 2020 et 2022 a été supérieure aux Etats-Unis : 325 décès pour 100 000 habitants, 257 en France. La mortalité par crise cardiaque et autres maladies ischémiques frappe trois fois moins les Français que les américains (39 décès pour 100 000 habitants contre 117). Enfin les décès liés aux opioïdes pour les personnes de 15 à 60 ans sont, en 2019, de 10 par million d’habitants en France et de 240 aux Etats-Unis. En résumé donc, sans que la France soit aussi exemplaire que les pays d’Europe du nord et le Japon, la santé des Français est incomparablement meilleure et leur médecine l’est aussi. Pourtant les Américains dépensent par an et par habitant 12 555 $ et les Français un peu plus de la moitié 6 630 $. En 2022, aux Etats-Unis, 16,6%3 du PIB était affecté à la santé, 11,5% en France qui se place pourtant en 4ème position des pays de l’OCDE (la moyenne de ces pays est de 9,2% du PIB). Rappelons qu’un point de PIB, en France, représente environ 23 milliards d’euros en 2023, notre excès de dépense par rapport aux pays comparables est donc de l’ordre de 50 milliards, mais rien à voir avec les Etats-Unis dont l’état sanitaire de la population est alarmant et la gabegie patente. Soulignons enfin que 48% des dépenses américaines sont financées par des impôts et des taxes soit donc 6 026 $ ; en France ce chiffre est de 78 % soit donc 5 151 $. Les contribuables américains payent donc plus que les Français pour leur santé ! Je doute qu’ils en soient conscients. 2 Les meilleures sources de données proviennent de l’OCDE. Toutefois, le rapport 2023, publié en 2024, utilise des données de 2022, voire de 2021. OCDE – Panorama de la santé 2023 - https://www.oecdilibrary.org/docserver/5108d4c7- fr.pdf?expires=1723735157&id=id&accname=guest&checksum=B2B110FE98DEFCCC5B8DC4426C7848A5 3 Les chiffres de l’OCDE sont parfois différents de ceux des Etats, car ils sont retraités. Ils sont cependant les seuls à permettre des comparaisons sur des bases communes. 3 Aux Etats-Unis, 91% de la population est couverte par une forme d’assurance maladie. 38% l’est par les trois programmes publics : MEDICARE (les 65 ans et plus), MEDICAID (les pauvres) et la VETERAN ADMINISTRATION (les anciens combattants). 53% ont une assurance privée, le plus souvent liée à leur contrat de travail et 9% rien, ce qui a un instant donné représente 31 millions d’habitants, mais quasiment le double au cours d’une année, selon que l’emploi du moment offre ou n’offre pas de couverture « santé » ce qui n’est pas obligatoire quand l’entreprise a moins de cinquante salariés. En outre, pour ceux qui sont assurés, il y a le plus souvent des franchises importantes si bien que 10% de ces assurés paieront de leur poche au cours d’une année 5 390 $ et 1% 19 500 $ en 2023, aussi 41% des Américains se sont endettés pour réduire leurs dépenses de santé et 25% disent s’être privés de soins pour des raisons financières ! En outre les soins dentaires, les lunettes, ou les appareils auditifs sont peu ou mal remboursés. Les conditions de remboursement des médicaments sont d’une extrême complexité et varient d’une assurance à l’autre. Pour MEDICARE, le système s’est simplifié en 2020 : les patients payent de leur poche 25% du prix et, si le montant payé dépasse un seuil, qualifié de « limite catastrophique », ce taux descend à 5%. Il faut dire qu’aux Etats-Unis les prix des médicaments sont libres depuis l’année 2000 (la famille Bush a toujours été proche des industriels de la pharmacie), que la publicité pour les médicaments est autorisée à la télévision et que, jusqu’à une date récente, il était interdit aux programmes fédéraux de négocier les prix avec les industriels. Joe Biden et Kamela Harris font grand cas de la possibilité pour MEDICARE de faire baisser certains prix de médicaments à partir de 2026, mais cela ne rapportera que 6 milliards de dollars. En 2023, les dépenses de santé des Etats-Unis étaient de 4 800 milliards de dollars soit le double du PIB de la France ! Si ce système est aussi onéreux, cela provient d’un effet paradoxal des mécanismes d’assurance. En effet, les gens riches bénéficient d’assurance qui couvrent les hôpitaux luxueux et les médecins onéreux, les autres essayent de suivre et ainsi la concurrence produit de l’inflation et rend solvables des tarifs de plus en plus élevés. Aux Etats-Unis, une IRM coûte 4 000 $, un scanner 3 000 $, un pontage coronarien de l’ordre de 80 000 $, une appendicectomie au minimum 40 000 $. En France, en secteur 1 (celui des tarifs opposables), le prix est à diviser par un facteur allant de 7 à 10 ! Quant au salaire moyen d’une infirmière en Californie, il est de 116 000 $ (104 400 €), comparés au 29 000 € nets, le salaire moyen d’une infirmière française. La conclusion est claire : Kamela Harris avait raison quand, en 2019, elle soutenait la proposition de Bernie Sanders, celle d’instaurer un système d’assurance maladie universelle, 4 seul moyen d’arrêter cette inflation qui ne bénéficie qu’aux acteurs de la santé au détriment du reste de la population. Je doute cependant qu’elle l’annonce durant cette campagne, tant elle risquerait alors de passer pour « libérale », c’est-à-dire socialiste, auprès d’une partie significative de son électorat. Le fera-t-elle si elle est élue ? Cela est peu probable et dépendra notamment de la composition du Sénat. Elle pourrait cependant baisser progressivement l’âge qui permet d’entrer dans MEDICARE et, de même, avec les Etats de l’Union, étendre les conditions qui autorisent les plus pauvres à bénéficier de MEDICAID, réduisant ainsi la part des non-assurés qui sont pour l’essentiel des jeunes adultes exerçant des petits boulots. Quant à la régulation du prix des médicaments, jusqu’où ira-t-elle ? Interdira-t-elle leur publicité comme c’est le cas en France ? Constater la mauvaise santé des Américains, comme l’inégalité de leur accès aux soins ne conduit pas toujours à résoudre ces problèmes. Michèle Obama en son temps a pourtant tenté d’expliquer les conséquences de la malbouffe, mais sa pédagogie efficace semble avoir eu peu de poids face à l’industrie agro-alimentaire. Un système d’assurance universelle remettrait en cause les privilèges des assureurs, de l’industrie biomédicale et des professionnels de santé, ce qui fait beaucoup de monde et semble idéologiquement impossible dans un pays où l’on croit que les dépenses publiques sont par essence mauvaises. En France, si les thèmes essentiels sont différents, ils sont aussi superbement ignorés par la classe politique. Quel parti propose de modifier les modalités de paiement des généralistes ? Quel élu reconnait que nous ne sommes plus capables d’avoir des médecins et chirurgiens spécialistes dans une bonne moitié des hôpitaux publics et qu’il faut donc en tirer des conséquences pour l’organisation des soins et l’accès de tous à une médecine de qualité ? Qui s’intéresse à la recherche médicale et à l’enseignement de la médecine qui ne peuvent plus avoir pour seules références les ordonnances de 1958 quelques qu’en furent la qualité ? Nous allons donc suivre avec intérêt la campagne électorale américaine et la politique du Gouvernement français qui ne devrait pas tarder à être nommé et voir s’ils s’attaquent aux questions structurelles. Jean de Kervasdoué 17 aout 2024 |