Les chemins de halage

Numéro 52 - septembre 2024

Les chemins de halage

    De nos jours, les chemins de halage constituent l'héritage d'un passé révolu. Le halage est un très ancien mode de traction des bateaux fluviaux qui consistait à tirer le chaland avec un cordage résistant mais léger, « la tire », fixée sur le mât du bateau. Elle était suffisamment haute pour ne pas traîner dans l'eau et éviter ainsi les obstacles du bord, entre la berge et le bateau. La tire glissait dans les bourgs traversés sur un guide en métal fixé sur des plots en pierre le long des berges, comme on en trouve encore actuellement sur certains quais en bordure des rives.

     Le chaland était tiré depuis la berge au moyen de cette longue corde et d'un harnais qui passait au col de l'homme (la bricole). Le gouvernail servait à corriger le déplacement du bateau, qui tracté obliquement, aurait pu être entraîné contre la berge. Il maintenait une position légèrement oblique par rapport à la direction.

    Le halage pouvait être humain, notamment avant le XVIIe siècle avec des paysans qui résidaient en général aux abords de la rivière. Ils étaient habilités pour pratiquer le halage sur des sections qui correspondaient aux longueurs des biefs. L'intérêt du halage par les hommes résidait dans leur capacité à éviter des obstacles imprévus, à s'adapter à une berge encombrée de végétaux, d'arbres ou de restes d'inondations. Puis les paysans furent supplantés par des entreprises avec des artisans qui proposaient leur bras (les brassiers). Sur l'Isle, 4 à 8 personnes étaient suffisantes mais sur la Seine, par exemple à Paris, il fallait entre 200 et 300 personnes tant certaines portions de la rivière étaient tumultueuses.

    Dès 1740, les haleurs sont remplacés par des bouviers habitant près des rivages, en bordure des chemins de halage et qui louaient leurs bœufs de lieue en lieue. Cette concurrence entre bouviers et brassiers engendra de graves incidents et en 1812 un arrêté préfectoral décréta que le halage devait se faire exclusivement au moyen de bœufs partout où les chemins de halage le permettaient. Le halage à bras n'était donc autorisé que dans les passages où l'utilisation des bœufs était impossible. Puis survint le temps des chevaux qui réclamaient des chemins mieux entretenus. Sur l'Isle, seule une paire de chevaux, un couple, était suffisante, à la différence de certains fleuves comme le Rhône, à fort débit et aux eaux agitées où on attelait de 30 à 80 bêtes, en quadrige, pour tracter des convois composés de plusieurs bateaux.

     Au début, la descente se faisait avec le courant et une voile que l'on hissait quand il y avait un vent suffisant. Pour la remontée, elle ne pouvait se faire qu'avec le halage. Le chemin de halage suivait la rive au plus près et comptait des relais tous les 5 à 8 km. Un décret préfectoral du 27 juin 1826 ordonne aux propriétaires riverains de la partie de l'Isle comprise entre Moulin-Neuf et Périgueux « de couper et d'enlever, de deux côtés de la rivière Isle, sans avoir droit à aucune indemnité, les clôtures, plantation d'arbres ou de haies qui s'y trouveraient, en sorte que le chemin de halage et le marchepied puissent être ouverts suivant les dimensions de l'ordonnance royale de 1669 » (24 pieds au moins de place en largeur : 7,80 m pour chemin royal et trait de chevaux, sans qu'il puisse planter arbres ni tenir clôtures ou haies plus près de 30 pieds : 9,75 m du côté que les bateaux se tirent et 10 pieds : 3,25 m de l'autre bord). Le 21 décembre 1895, le préfet de la Dordogne prend un arrêté  réduisant de 7,8 m à 5 m la largeur des chemins de halage de l'Isle navigable entre le vieux pont de Périgueux et le département de la Gironde et fixant à 5 m au lieu de 9,75 m la largeur de la zone dans laquelle il est interdit d'établir des constructions ou des plantations.

     Le parcours entre Périgueux et Libourne était jalonné par 40 écluses. On ne compte pas moins de 27 changements de rives sur l'Isle depuis Libourne dont 10 de Saint-Astier à Périgueux (le chemin se trouvant habituellement dans la partie concave de la courbe de la rivière, plus proche du chenal de navigation). On utilisait aussi la voile dans la partie très en aval du parcours si le temps le permettait. Il fallait 4 jours à la remonte et à la descente de Libourne à Périgueux, dont un jour de Coutras à Libourne, mais parfois en cas de basses eaux, cela pouvait durer 8 jours sur cette seule partie.

 

      Ce système de halage n'a disparu que depuis le milieu des années 1960. Mais ces chemins de labeur pour les hommes et les bêtes n'ont pas fini leur histoire... En France, par un décret du 16 septembre 2004, on a introduit les voies vertes dans le cadre du code de la route : voies exclusivement réservées à la circulation des véhicules non motorisés, des piétons et des cavaliers. Fin 2004, le premier tronçon de la voie verte a été inauguré sur la partie amont de la rivière soit 5 km en rive droite sur la commune de Trélissac. En 2005, les travaux ont continué sur le chemin de halage à Périgueux et à Marsac. Cette voie verte des berges de l'Isle met en valeur les beautés naturelles de Périgueux et l'architecture de la ville. Tous les adultes et enfants qui la parcourent régulièrement soit pour leurs loisirs, soit  pour aller d'un point à l'autre, vous diront que c'est un lieu magique. En septembre 2007, cette belle voie des berges de l'Isle a obtenu un prix européen des Voies Vertes, bien mérité.

Raymond Segonzac

Société Historique et Archéologique du Périgord

18 rue du Plantier 24000 Périgueux

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