Les noms de lieux-dits, patrimoine menacé

  Numéro 54 - novembre 2024

Les noms de lieux-dits, patrimoine menacé

     Les habitants des petites villes et des zones rurales sont dotés depuis quelques mois d’une adresse utile par sa précision mais souvent sans rapport avec la dénomination ancestrale des lieux-dits.

     Les toponymes – ou noms de lieux – ont été créés et ont évolué au cours des siècles. Ils témoignent des langues pré-celtique, gauloise, romaine, wisigothique, occitane qui ont précédé le français. Leur nombre a déjà considérablement diminué lorsque les parcelles numérotées du plan cadastral ont remplacé la dénomination vernaculaire et la liste des riverains que les notaires du XVIIIe siècle utilisaient.

    L’établissement du plan cadastral dit napoléonien au début du XIXe siècle par des agents qui n’étaient pas forcément originaires du lieu et avaient pour interlocuteurs des Périgourdins qui pratiquaient essentiellement l’occitan a souvent provoqué des altérations des toponymes. De nombreux articles existent sur ce sujet, y compris sur le site de l’IGN et sur celui de la SHAP.

   Aujourd’hui, le danger qui menace l’existence des toponymes est lié à l’application de la loi sur l’adressage.

     Depuis le 1er juin 2024, la loi dite 3DS de février 2022 impose aux communes d’identifier toutes les adresses par un nom de voie (avenue, rue, chemin, impasse, passage...) et un numéro unique. Le délai accordé témoignait de la prise en compte des difficultés prévisibles sur le plan matériel (coût financier et humain important pour les petites communes) mais aussi des résistances aux changements et à l’abandon de dénominations ancestrales.

    L’existence d’un adressage précis était une demande pressante des services de secours pour gagner un temps précieux mais aussi des services postaux (les facteurs ont de moins en moins de tournée attitrée) et de tous les livreurs du commerce électronique. La nécessité était évidente, mais la mise en œuvre est parfois difficile et source de conflit car les noms de lieux-dits sont devenus encombrants et passent à la trappe. Certaines communes envisageaient même de supprimer les panneaux indicateurs de lieux-dits devenus « inutiles ».

     De nombreux articles dans la presse régionale ou nationale ont témoigné de situations problématiques : disparition des nouveaux panneaux, pétitions et même démission d’un maire (Passavant-sur-Layon dans le Maine-et-Loire).

Les communes ont réagi plus ou moins rapidement et parfois dans l’urgence, en adoptant des stratégies variées :

  • Dénomination de la voie en reprenant le nom du lieu-dit qu’elle dessert par exemple la route de la Veyssière (le toponyme est conservé mais on ne fait pas de différence entre le lieu-dit lui-même et les habitations ou autres lieux-dits qui sont sur le chemin d’accès). C’est l’une des propositions dans l’aide qui accompagne le logiciel de saisie et souvent une solution de facilité.

  • Choix d’un nom nouveau et alors le manque d’imagination, de culture locale ou le souci d’éviter les polémiques, fait fleurir les rues des Hirondelles, des Papillons, des Marguerites ou des Lilas, sans aucune référence au patrimoine.

  • Reprise d’un toponyme oublié ou hommage à une personnalité locale, ces cas sont plus rares et interviennent lorsque les municipalités ont provoqué des réunions de concertation qui ont pu faire ressurgir des éléments de l’histoire locale.

Le site national de l’adresse donne accès à l’ensemble des adresses du territoire national. Il vous permettra donc de chercher quelques exemples dans les villages que vous connaissez  pour essayer de retrouver les noms de lieux-dits utilisés par des dizaines de générations.

Voici un minuscule échantillon de lieux-dits absorbés par le nouvel adressage :

  • À Neuvic, la rue de la Libération part de Théorat et passe successivement par la Croix de Canard, le Combalou, Foncouverte, les Bertrands et Linseuil.

  • À Thiviers, la route des Abeilles va des Peyrières à la Boulinie en passant par le Coderc, Monteluce, le Bruzac.

  • À Villetoureix, les maisons de la Guionie se partagent entre la rue des Lilas, la route de la Glycine et le chemin du Pigeonnier.

  • À Saint-Pierre-de-Chignac, Jean-Petit est remplacé par la route de la Peyzie.

  • à Saint-André-de-Double, les deux hameaux du Maine et de Fourcharteau sont sur l’impasse des Eglantiers.

  • À Jaure, les villages de Mèreboeuf et Barbecane disparaissent au profit de la route des Sources et Chantelouette est sur la route de Saint-Firmin (patron de la paroisse).

L’adressage précis était une mesure nécessaire mais sa mise en place par les communes présente un réel danger de disparition des noms de lieux-dits au profit de dénominations arbitraires qui ne représentent rien dans le patrimoine local. Pourtant le site national de recueil des adresses conseille aux communes de « bien utiliser la liste des toponymes pour valoriser les hameaux et lieux-dits » et donne les indications nécessaires pour que les noms de lieux-dits apparaissent comme complément de l’adresse. Il s’agit seulement d’une saisie supplémentaire et c’est sans doute ce qui a retenu la plupart des communes. Parmi les exemples précédents, ce travail a été fait à Thiviers et on rencontre des adresses de la forme : Monsieur X, Les Peyrières, 444 route des Abeilles, 24800 Thiviers.

     On ne saurait trop encourager les Périgourdins attachés à leur patrimoine à demander à leurs municipalités de compléter la saisie pour que la dénomination de la voie soit accompagnée par le nom du lieu-dit qui nous vient du fond des âges.

      La nécessité d’un adressage précis ne doit pas conduire à l’oubli des toponymes que l’on ne retrouveraient plus que sur le plan cadastral, les vieilles cartes et les actes notariés.

    Cet adressage est déjà concurrencé par utilisation des coordonnées GPS et sera peut-être remplacé un jour par un autre codage, mais les toponymes constitueront toujours un trésor à préserver de l’oubli.

Pierre Besse

Société Historique et Archéologique du Périgord

18 rue du Plantier 24000 Périgueux

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